Les « margats » sont magnifiques (fous de Bassan) ; nous
leur donnons ce nom, car en mer ces oiseaux sont perpétuellement à la recherche
de nourriture et avalent des quantités phénoménales de poissons. On fait
allusion à des gamins qui piaillent toujours en réclamant
quelque chose à manger. C'est aussi le nom que l'on donne aux mousses sur les
chalutiers et aux garçonnets dans le vieux Boulogne.
Ces oiseaux ont un regard particulier, bleu acier et dur, perçant,
et ils sont en mesure de repérer un poisson jusqu'à 15 mètres de profondeur et de
se laisser tomber dessus en plongeant. Dès qu'ils sont sous l'eau, ils nagent pour
l'atteindre. Ils remontent et l'avalent tout rond. Puis ils repartent à la
recherche du suivant, comme des gosses insatiables qui font bouche de tout ce
qui passe à leur portée jusqu'à rendre.
Certaines fois, nous leur jetions d'énormes chinchards ; il fallait voir
comme ils les retournaient avec le bec pour les engloutir dans le bon sens des
nageoires épineuses.
C'est un spectacle superbe que de les voir tournoyer à 20 mètres de la mer et
partir de côté en refermant progressivement les ailes, pénétrer la surface
sans une éclaboussure, et remonter quelques minutes plus tard, un poisson en travers du bec.
Quand les eaux sont claires, par vent de nord, on les voit nager sous l'eau ; c'est splendide. Ils
ne sont que grâce dans les airs, tournoyant autour du
navire dans l'attente du virage (remontée du chalut) ; mais combien de fois,
dans les bourrasques de neige, ne les a-t-on pas vu tomber sur le pont par
dizaines.
À partir de cet instant, ils deviennent comme infirmes, patauds, incapables de
prendre leur envol. Il faut alors les attraper (ou plutôt tenter de le faire)
avec précautions, car ils sont très agressifs et capables de vous percer la
main de leur puissant bec. Nous les prenions par les bouts d'ailes pour les
catapulter chez eux.
À la saison du hareng, ils plongeaient sur le chalut et s'étranglaient dans
les mailles, perdus, noyés ; mon « père de mousse » confectionnait des
blagues à tabac avec les pattes.
Patrice Delval, pêcheur
Boulogne-sur-Mer, France,
courriel, le lundi 3 septembre 2001