Les fantômes de l'été
Novembre. Le jour tombe autour de 16 heures. Dans la cuisine d'été face à toutes ces fenêtres qui deviennent miroirs, surgissent les fantômes de l'été.
Un quartier d'érable crépite dans la cuisinière au bois. Une soupe aux légumes mijote, parfume la pièce. Les légendes s'inventent toutes seules. Ainsi me reviennent les gestes d'un mélèze :
Bonzaï - L'arbre qui se détache
Au printemps 1990, je ramasse un mélèze laricin d'un an, en bordure du fossé, dans le cordon. J'installe l'arbrisseau dans un petit pot de porcelaine, je le corse de fil de laiton, pour en faire un bonzaï.
Selon les règles, je taille feuilles, branches et racines.
Au printemps 1991, le mélèze force les fils de laiton, se blesse, veut grandir. Les branches du petit arbre se tendent en tous sens, ses racines chevauchent les rebords du pot, infiltrent le trou d'égouttement.
Pleine terre
Devant l'énergie et la volonté d'espace de l'arbrisseau, je le transplante en pleine terre, bien en vue, au milieu de mon terrain.
Pensant l'aider, je lui donne les eaux de cuisson des maïs, des pommes de terre et de tous les légumes.
Couloir de vent
Entre les Laurentides et le fleuve Saint-Laurent, dans les basses terres Champlain, seul de son espèce dans un couloir de
vent, l'arbre commence à pencher.
D'été ou d'hiver, chaque gros temps accentue le travers du mélèze.
Tutelle
Pour replacer l'arbrisseau, je passe une corde dans un bout de boyau d'arrosage, je le redresse de mon mieux, je l'attache. Deux crochets de tente bien ancrés dans le gazon tendent la corde.
Où va le mélèze ?
Novembre. Une veilleuse éclaire à peine la cuisine d'été. Deux mailles à l'endroit, deux mailles à l'envers, je tricote des chaussons de laine en me berçant. Les questions jaillissent.
Où va le mélèze quand il s'échappe ?
Que fait-il ?
Est-ce qu'il s'informe des dernières nouvelles aux vaches qui paissent dans le pré ?
Est-ce qu'il demande conseil aux grands arbres qui prêtent leur cime aux corneilles tapageuses, une heure avant le coucher de soleil ?