Nichole Ouellette
présente
Flore
laurentienne
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ESQUISSE GÉNÉRALE DE LA FLORE LAURENTIENNE.
| II. - DYNAMISME DE LA FLORE LAURENTIENNE.
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B. ― FACTEURS DYNAMIQUES INTRINSÈQUES.
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1. FACTEURS D'ÉVOLUTION PROGRESSIVE.
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(a) Évolution à termes discontinus.
(Deuxième de deux pages :
page 1).
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Dans la flore actuelle, certains genres nombreux en espèces, comme le genre
Carex qui en comprend environ 1000, semblent au repos, présentant des types
spécifiques assez bien définis, à bas coefficient de variabilité. Leur effort
d’expansion semble fait, mais la décadence, qui doit se traduire par
l’élimination des types faibles, n’est pas encore avancée. Certains autres genres, au contraire, semblent être en pleine éruption,
jetant en tous sens
des formes nouvelles plus ou moins stables, et sans rapport causal avec le
milieu. Tels sont, en Europe, les genres
Rosa,
Rubus, Hieracium ; en Chine et au
Japon, le genre
Sorbus ; en Amérique, les genres Antennaria, Panicum,
Oenothera,
Crataegus.
Crataegus sp. 45° 41' 28.8" N - 073° 41' 41.8" O,
Lanaudière, MRC Les Moulins, Terrebonne, Parc de la rive,
11:25 le mardi 16 mai 2006, photo Crataegus_sp_001_800.
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Le genre
Crataegus, qui ne présente guère que quelques espèces dans l’ancien
monde, ― espèces apparemment stables,
― pose dans le nouveau monde, à cause de
l’effarante multiplicité des formes, un extraordinaire problème biologique. On a
décrit en Amérique près d’un millier d’espèces, et notre flore québécoise en
renferme au moins une cinquantaine, et probablement davantage. Mais que sont ces
espèces ? Linnéons, jordanons, micromorphes, espèces élémentaires ? Quelle est
leur valeur technique et leur stabilité ?
Des biologistes, familiers avec d’autres genres, ont mis en doute la valeur
de cette taxonomie des
Crataegus. Ce millier d’espèces, surgi sur les sites des
anciens villages d’Indiens sédentaires, sur les fermes abandonnées et les
terrains incultes de l’Amérique orientale, étonne et effraie. Mais il faut se
rappeler que la formule de l’organisation, donc la spécificité, résultent de la
combinaison d’un certain nombre de caractères ou d’éléments d’intégration,
éléments d’autant plus nombreux que l’être, plante ou animal, est plus élevé en
organisation. Dans une plante angiosperme, dernier fruit de l’évolution des
vasculaires, le nombre de ces éléments est relativement grand, et le nombre de
leurs combinaisons possibles, et par conséquent des espèces possibles, est
immense.
En ce qui concerne les Crataegus, une longue expérience permet d’affirmer
qu’une fois les observations faites et les premières difficultés vaincues, on
arrive à reconnaître, au moment de la floraison, la plupart des espèces d’une
région donnée, aussi facilement et même plus facilement que celles d’autres
genres critiques, mais moins nombreux en espèces. Cependant, la floraison
passée, il semble que les différences s’oblitèrent : le rideau se tire et le
monde des aubépines redevient une énigme. Dans l’ensemble, toutefois, nous
considérons les aubépines du Québec comme suffisamment caractérisées. Quant à la
stabilité des espèces, deux ordres de faits peuvent nous renseigner. Tout
d’abord, des expériences à grande échelle instituées par SARGENT à l’Arnold
Arboretum ont montré que les espèces se reproduisent en conservant fidèlement
leurs caractères. D’autre part, l’observation, au moment de la floraison, des
grandes formations d’aubépines comme celles de l’île de Montréal, ne donne pas
l’impression de variabilité individuelle. Des haies naturelles, longues de
centaines de mètres, sont souvent composées de milliers d’individus appartenant
à la même espèce ou à un petit nombre d’espèces, toujours bien reconnaissables
au moment de la floraison.
Nous avons dit que la flore du
Québec comprend au moins une cinquantaine
d’espèces d’aubépines. Dans ce nombre, plusieurs sont endémiques dans la région
de Montréal, ou dans celle de
Québec, et d’autres sont limitées à un territoire
débordant assez peu le Québec. Or, les aubépines ne sont pas des essences
forestières ; leur épanouissement demande des lieux secs et de pleine lumière. À
l’époque précoloniale, tout le Québec était couvert d’épaisses forêts, et les
lieux ouverts, autres que les marécages et les tourbières, étaient plutôt rares.
Les aubépines ne pouvaient guère s’établir que par petits groupes isolés, le
long des cours d’eau. C’est ainsi qu’on les voit d’ailleurs sur les confins de
leur distribution, sur leur front d’avance, au
lac Saint-Jean, au Témiscamingue,
sur l’île d’Anticosti. Il paraît logique de conclure, et c’est le point capital
de toute cette discussion, que le grand développement du genre en Amérique est
le résultat immédiat d’une rupture d’équilibre écologique, effet du défrichement
par les Indiens sédentaires d’abord, par les Blancs ensuite. Non pas que le
nouveau milieu ainsi créé ait formé directement les nouvelles entités en les
moulant à ses lignes. Il semble bien plutôt, comme nous l’avons suggéré plus
haut pour le cas général des genres polymorphes, que l’espèce, en vertu d’un
dynamisme dont l’essence nous échappe encore complètement, et sous le stimulus
de l’environnement, produise au hasard, en tous sens, des mutations qui n’ont en
elles-mêmes aucun rapport avec le milieu et l’utilité. Nous sommes donc amenés à
la conclusion que les aubépines endémiques québécoises se sont formées sur
place, et que, par conséquent, dans des circonstances favorables, quelques
siècles peuvent suffire pour produire, ― par mutation polyploïdique typique, par
mutilation suivie de polyploïdie, par hybridation ou autrement,
― une
merveilleuse floraison d’espèces.
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Frère Marie-Victorin (1885-1944)
Flore laurentienne, p. 64, 65, 66.
le mercredi 2 avril 2003 - le samedi 3 mars 2012
constante mouvance de mes paysages intérieurs
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