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Flore laurentienne
Frère Marie-Victorin (1885-1944)

Esquisse générale :
Index ] Point de vue dynamique ] Point de vue dynamique ] Facteurs d'évolution ] Termes discontinus ] [ Termes discontinus ] Termes continus ] Termes continus ] Termes continus ] Termes continus ] Termes continus ] Termes continus ] Facteurs d'élimination ] Facteurs extrinsèques ] Facteurs extrinsèques ] Conclusion ]

ESQUISSE GÉNÉRALE DE LA FLORE LAURENTIENNE.

II. - DYNAMISME DE LA FLORE LAURENTIENNE.

B.  FACTEURS DYNAMIQUES INTRINSÈQUES.

1. FACTEURS D'ÉVOLUTION PROGRESSIVE.

(a) Évolution à termes discontinus.
(Deuxième de deux pages : page 1)
.

Dans la flore actuelle, certains genres nombreux en espèces, comme le genre Carex qui en comprend environ 1000, semblent au repos, présentant des types spécifiques assez bien définis, à bas coefficient de variabilité. Leur effort d’expansion semble fait, mais la décadence, qui doit se traduire par l’élimination des types faibles, n’est pas encore avancée. Certains autres genres, au contraire, semblent être en pleine éruption, jetant en tous sens des formes nouvelles plus ou moins stables, et sans rapport causal avec le milieu. Tels sont, en Europe, les genres Rosa, Rubus, Hieracium ; en Chine et au Japon, le genre Sorbus ; en Amérique, les genres Antennaria, Panicum, Oenothera, Crataegus.


Crataegus sp. 45° 41' 28.8" N - 073° 41' 41.8" O, Lanaudière, MRC Les Moulins, Terrebonne, Parc de la rive, 11:25 le mardi 16 mai 2006, photo Crataegus_sp_001_800.

Le genre Crataegus, qui ne présente guère que quelques espèces dans l’ancien monde, ― espèces apparemment stables, ―  pose dans le nouveau monde, à cause de l’effarante multiplicité des formes, un extraordinaire problème biologique. On a décrit en Amérique près d’un millier d’espèces, et notre flore québécoise en renferme au moins une cinquantaine, et probablement davantage. Mais que sont ces espèces ? Linnéons, jordanons, micromorphes, espèces élémentaires ? Quelle est leur valeur technique et leur stabilité ?

Des biologistes, familiers avec d’autres genres, ont mis en doute la valeur de cette taxonomie des Crataegus. Ce millier d’espèces, surgi sur les sites des anciens villages d’Indiens sédentaires, sur les fermes abandonnées et les terrains incultes de l’Amérique orientale, étonne et effraie. Mais il faut se rappeler que la formule de l’organisation, donc la spécificité, résultent de la combinaison d’un certain nombre de caractères ou d’éléments d’intégration, éléments d’autant plus nombreux que l’être, plante ou animal, est plus élevé en organisation. Dans une plante angiosperme, dernier fruit de l’évolution des vasculaires, le nombre de ces éléments est relativement grand, et le nombre de leurs combinaisons possibles, et par conséquent des espèces possibles, est immense.

En ce qui concerne les Crataegus, une longue expérience permet d’affirmer qu’une fois les observations faites et les premières difficultés vaincues, on arrive à reconnaître, au moment de la floraison, la plupart des espèces d’une région donnée, aussi facilement et même plus facilement que celles d’autres genres critiques, mais moins nombreux en espèces. Cependant, la floraison passée, il semble que les différences s’oblitèrent : le rideau se tire et le monde des aubépines redevient une énigme. Dans l’ensemble, toutefois, nous considérons les aubépines du Québec comme suffisamment caractérisées. Quant à la stabilité des espèces, deux ordres de faits peuvent nous renseigner. Tout d’abord, des expériences à grande échelle instituées par SARGENT à l’Arnold Arboretum ont montré que les espèces se reproduisent en conservant fidèlement leurs caractères. D’autre part, l’observation, au moment de la floraison, des grandes formations d’aubépines comme celles de l’île de Montréal, ne donne pas l’impression de variabilité individuelle. Des haies naturelles, longues de centaines de mètres, sont souvent composées de milliers d’individus appartenant à la même espèce ou à un petit nombre d’espèces, toujours bien reconnaissables au moment de la floraison.

Nous avons dit que la flore du Québec comprend au moins une cinquantaine d’espèces d’aubépines. Dans ce nombre, plusieurs sont endémiques dans la région de Montréal, ou dans celle de Québec, et d’autres sont limitées à un territoire débordant assez peu le Québec. Or, les aubépines ne sont pas des essences forestières ; leur épanouissement demande des lieux secs et de pleine lumière. À l’époque précoloniale, tout le Québec était couvert d’épaisses forêts, et les lieux ouverts, autres que les marécages et les tourbières, étaient plutôt rares. Les aubépines ne pouvaient guère s’établir que par petits groupes isolés, le long des cours d’eau. C’est ainsi qu’on les voit d’ailleurs sur les confins de leur distribution, sur leur front d’avance, au lac Saint-Jean, au Témiscamingue, sur l’île d’Anticosti. Il paraît logique de conclure, et c’est le point capital de toute cette discussion, que le grand développement du genre en Amérique est le résultat immédiat d’une rupture d’équilibre écologique, effet du défrichement par les Indiens sédentaires d’abord, par les Blancs ensuite. Non pas que le nouveau milieu ainsi créé ait formé directement les nouvelles entités en les moulant à ses lignes. Il semble bien plutôt, comme nous l’avons suggéré plus haut pour le cas général des genres polymorphes, que l’espèce, en vertu d’un dynamisme dont l’essence nous échappe encore complètement, et sous le stimulus de l’environnement, produise au hasard, en tous sens, des mutations qui n’ont en elles-mêmes aucun rapport avec le milieu et l’utilité. Nous sommes donc amenés à la conclusion que les aubépines endémiques québécoises se sont formées sur place, et que, par conséquent, dans des circonstances favorables, quelques siècles peuvent suffire pour produire, ― par mutation polyploïdique typique, par mutilation suivie de polyploïdie, par hybridation ou autrement, ― une merveilleuse floraison d’espèces.

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Frère Marie-Victorin (1885-1944)
Flore laurentienne, p. 64, 65, 66.


le mercredi 2 avril 2003 - le samedi 3 mars 2012
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